Lundi 14 – lundi 21 mars 2022
Partis le lundi à 6h30 de Bordeaux, c’est à 02h le mardi que nous arrivons dans notre hôtel Ammanite. Moïse avait mis plus de temps pour parcourir une distance moindre !
On pense parfois que le déplacement est du temps perdu. Oui, un peu, mais pas seulement ! C’est le temps où le groupe se forme, où chacun aussi, entre deux lectures, deux assoupissements, deux conversations, prend peu à peu conscience qu’il part en pèlerinage, qu’il devient pèlerin. Les repas pris dans l’avion peuvent y aider, plus que la chambre luxueuse en tout cas ! Mieux qu’à la maison où pourtant je n’ai pas à me plaindre !
Le guide veut nous aider à aimer son pays. Il va falloir s’ajuster pour entrer dans une démarche où chacun peut prendre son propre chemin cohérent. En abordant demain le désert du Wadi Ran, en contemplant demain soir les étoiles, nous serons avec Abram, même s’il n’est probablement pas venu par ici.
Mais demain sera … le même jour ! Laissons la nuit faire son œuvre.
MARDI ABRAHAM

Pour faire un pèlerinage nous allons souvent dans des lieux où quelqu’un a vécu des événements précis : Nous allons voir Bernadette à Lourdes, et la regardant nous voyons Marie ; à Loyola nous voyons la maison natale de Saint Ignace et son histoire circonstanciée ; à Javier, tout à côté, nous voyons Saint François-Xavier et, en regardant sa vie, nous faisons grandir en nous un esprit missionnaire. Au Jourdain nous voyons le baptême de Jésus, à Macheronte nous parlerons de la décollation de Jean-Baptiste, mais dans le désert du Wadi Ran où nous allons aujourd’hui, nous n’allons pas chercher Laurence d’Arabie, même si l’histoire, et donc ici la géographie et la géopolitique, nous intéresse. Nous allons au désert et n’en serons pas privés.
Alors, nous allons entendre Abram qui est parti « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. »
Abram a accueilli le Seigneur en accueillant les trois anges qui parlent comme un seul homme (Genèse 18)
Nous roulons pendant trois heures vers le sud avant de bifurquer à l’est. Après le village de Ran où nous déjeunons devant les sept piliers de la sagesse qui ont inspiré le titre du livre de T.E. Lawrence, Le désert est comme on le rêve : falaises impressionnantes, vallées (wadis) où l’on pourrait se perdre. « Mon père était un Araméen nomade », disait dimanche dernier le texte du Deutéronome.
Passés du bus au pick-up nous avançons plus profondément dans le désert où notre guide nous indique un lieu à l’abri du vent -au moins à l’instant où il l’a choisi- pour célébrer l’eucharistie. A partir de ce moment-là nous sommes tous atteints par le froid. La Jordanie, à l’instar de l’Espagne, est un pays froid !
Dix mois d’hiver, deux mois d’enfer !
Abram a entendu un appel, cru et répondu à une promesse ; il a rencontré Dieu pour la réalisation de cette promesse car Dieu ne fait rien sans nous. Quand il est passé d’Abram -Père haut- à Abraham -Père d’une multitude, son épouse Saraï -Ma Princesse- a pu devenir Sara -Princesse- … et ils enfantèrent.
A 19h nous chantons vêpres sous la grande tente, bien fraîche mais à l’abri du vent. J’introduis quelques techniques pour le chant et quelques éléments de compréhension pour le texte des psaumes et cantiques.
Après un bon repas -Comment font-ils ?- nous rejoignons nos abris, qui tiennent plus du bungalow que de la tente. Même ceux qui sont deux n’ont pas trouvé le moyen de se réchauffer ! Mes pieds sont restés des glaçons !
MERCREDI MOÏSE
Lever 7 heures, précédé de trois sorties nocturnes qui m’ont permis, à défaut de voir beaucoup d’étoiles, de penser, sinon de ressentir qu’il faisait peut-être moins froid dehors que sous la couette qui ne parvenait pas à me réchauffer les pieds.
Maintenant, à cette heure, tout le monde est encore frigorifié ; mais la clarté du ciel et la limpidité de l’air, un soleil tiède pointant ses rayons, nous donnent un peu d’entrain. Sur le plateau du pick-up nous chantons à tue-tête « Mon Dieu, tu es grand tu es beau, tu es le Dieu d’amour »
Retour au bus qui s’arrête à la gare de Ran où nous voyons la dernière locomotive à vapeur, semblable à celle du film « Laurence d’Arabie ». Mais ce n’est pas en train que nous partons vers le nord avec Moïse, bien qu’il n’ait probablement pas connu Petra, ni le chemin de fer !
Au temps de Moïse les nabatéens n’existaient pas encore et leurs œuvres dédiées aux dieux et peut-être bien aux morts n’étaient pas encore réalisées. Elles ne sont d’ailleurs pas encore décryptées, au propre comme au figuré, seulement 20% du site ayant été fouillé. Amdjed, notre guide, nous donne de nombreuses pistes de compréhension avant que nous n’arrivions devant l’œuvre majeure connue par Tintin, Lawrence, Indiana Jones et bien d’autres !
La terre prise aux entrailles de la montagne pour y mettre les corps morts semble dire que ceux-ci montent vers le domaine des dieux.
Abraham et Moïse ont entendu le Seigneur, ont perçu des signes de sa présence, signes différents pour l’un et pour l’autre, à l’un les étoiles, à l’autre le feu. Mais dans les Actes des Apôtres les juifs de Pentecôte n’entendaient-ils pas chacun dans sa langue proclamer les merveilles du Seigneur ?
Quand on est dans la foi obscure, rappelons-nous les signes que Dieu nous fait ; quand nous ne percevons pas les signes, accueillons la Parole. Au creux de la nuit, quand il semble que plus rien ne parle, plus rien ne se voit, écoutons les mots de l’Église qui disent la certitude de la présence de Dieu à nos vies, même si nous ne la percevons pas : je te baptise, je te pardonne, ceci est mon corps. Les frères sont là pour nous le rappeler. De fait, sans le savoir, nous avons été là pour eux au moment nécessaire.
JEUDI 17
Départ tôt le matin sur le chemin de la conquête. Plus qu’à celle des croisés je m’intéresse à celle de Moïse qui conduit le peuple sur sa rive orientale, traversant Edom et Moab. Combien de combats et d’alliances avec ces petits peuples au long des millénaires ? Moïse, avec ses gilets jaunes d’hébreux, va les conduire jusqu’au Jourdain.
Notre guide a le chic en puisant dans toutes les couches de sa connaissance pour, tout en visitant Kérak où il s’agit des croisés, Umm-Ar-Rasas où l’on rencontre des romains et des Byzantins … jusqu’à Madaba où les civilisations s’empilent les unes sur les autres, nous tenir en éveil afin que l’histoire rencontre notre propre expérience.
Au milieu de ce cheminement dans un monde si beau, nous nous arrêtons dans la paroisse Melkite du Père Paul où nous célébrons la messe que je préside.
« Ils auraient beau rencontrer un ressuscité, ils ne croiraient pas davantage. »
Ils ont eu Moïse et ils l’ont encore.
La parabole de Lazare et du riche nous somme de regarder l’autre.
Le repas préparé par l’épouse du prêtre est suivi d’une conversation avec lui sur sa communauté. Pas besoin d’animer le débat, faire seulement signe qu’il faut conclure !
VENDREDI 18
Nous partons vers Jerash, portés par les informations et commentaires de notre guide, et transportés par notre excellent chauffeur !
Il n’est pas très facile d’intégrer tout cela dans notre démarche de pèlerinage, même si ce n’est pas sans intérêt.
Arrêt au Yabbok qui a perdu de son charme, s’il en a eu, et où je lis depuis le bus le texte du combat de Jacob et en fait un bref commentaire.
Jerash est une ville à cheval, à moins que ce ne soit à chameau ou à dromadaire, sur deux ères et qui a vu se développer plusieurs systèmes de pensée ou systèmes religieux au fil des siècles. Les ruines en sont un beau témoignage que nous parcourons sous une pluie fine mais tenace. Les airs de cornemuse venant de l’amphithéâtre nous donnent l’impression d’avoir été téléportés en écosse, mais non : nous sommes bien en Jordanie où la cornemuse est l’instrument qui accompagne la garde royale et nous accueille maintenant en jouant « frère Jacques » !
Retour à Madaba pour contempler la carte mosaïque, un peu décevante à mon goût mais l’intérêt est d’abord qu’elle ait été faite et qu’elle existe.
Nous arrivons pile à la procession d’entrée dans l’église Saint Georges où nous célébrons avec la paroisse la fête de Saint joseph, anticipée car demain samedi c’est la messe dominicale, le dimanche n’étant pas chômé.
L’église est pleine, pleine encore pour le chemin de croix où j’interviens à la fin de chaque station en reprenant le chemin de croix du secteur pastoral de Langon fait à Verdelais le vendredi Saint 2014, seul chemin de croix de mes 8 années passées comme curé de Langon pendant lequel il n’a pas plu, du verbe mouiller !
« Mais d’où sortez-vous ce texte ? » m’a-t-on demandé.
Toutes ces histoires sont inscrites dans le même filon depuis Abraham, Jacob, Moïse … et Joseph qui n’est pas pour rien dans l’incarnation et l’éducation de Jésus … à poursuivre demain avec le baptême de Jésus.
SAMEDI 19
Aujourd’hui, je suis à l’heure … mais je m’aperçois plus tard que j’ai oublié le matériel pour la messe. Du coup, le pain viendra des militaires qui gardent le site et le vin, rouge, du musulman qui est notre guide. On ne serait pas en carême que je chanterai bien Alléluia !
Nous descendons en silence vers le lieu du baptême de Jésus. Nous avons travaillé hier le déroulement de la célébration, un peu compliqué. Nous sommes dehors, une grande vasque est là, devant l’autel, en vue d’un baptême plus tard dans la matinée. Je tourne le dos au Jourdain où, avec Daniel, nous allons prendre de l’eau dans deux coupelles avant de la bénir. Puis, de cette eau, chacun signe son voisin. Les deux derniers signent les prêtres.
La lecture de la vente de Joseph aux madianites (Genèse 37) et l’évangile de la décollation de Jean-Baptiste en Matthieu 3, textes du jour, nous laissent dans l’ambiance de notre marche dans le premier testament et de sa transition avec la nouvelle alliance. Jésus plonge au plus bas de l’histoire de son peuple, d’Abraham à Jean-Baptiste, le dernier prophète du premier Testament.
Et un petit supplément d’Amdjed pour ceux qui auraient été frustrés d’un plongeon dans le Jourdain ! Le passage par la mer Morte, après avoir traversé un hôtel luxueux, du moins aux normes supérieures pour accueillir des congrès internationaux. C’est là que nous déjeunons au milieu d’une jeunesse huppée venue d’Amman ou d’autres lieux bien situés socialement.
C’était avant de monter à Macheronte par une route un peu scabreuse qui traverse une vallée profonde avant de parvenir au lieu du martyre de Jean-Baptiste où je lirai la version marcienne de la décollation qui suivit le marchandage entre Hérode et sa belle-fille.
Je souligne l’intérêt qu’il y a à comparer les différentes versions des textes évangéliques.
La pente est raide mais la route est droite pour retrouver le bus qui sera propice à une saine reprise de la sieste.
DIMANCHE 20 MARS 2022
J’ai apprécié d’avoir trois nuits consécutives dans le même lieu. Je dois vieillir !
La route est courte pour parvenir au mont Nébo et nous avons le temps de contempler le paysage sur la Mer Morte et les Monts de Judée, comme Moïse avait pu le faire vers l’an 1447, à moins que ce ne soit 1270 suivant les interprétations fort bien présentées dans « l’atlas de l’histoire biblique » de Paul LAWRENCE (!).
C’est le moment de relire le dernier chapitre du livre du Deutéronome.
Moïse monta des steppes de Moab au mont Nébo, au sommet du Pisga, qui est en face de Jéricho. Le Seigneur lui fit voir tout le pays : Galaad jusqu’à Dane, tout Nephtali, le pays d’Éphraïm et de Manassé, tout le pays de Juda jusqu’à la Méditerranée, le Néguev, la région du Jourdain, la vallée de Jéricho ville des Palmiers, jusqu’à Soar.
Le Seigneur lui dit : « Ce pays que tu vois, j’ai juré à Abraham, à Isaac et à Jacob de le donner à leur descendance. Je te le fais voir, mais tu n’y entreras pas. »
Moïse, le serviteur du Seigneur, mourut là, au pays de Moab, selon la parole du Seigneur. On l’enterra dans la vallée qui est en face de Beth-Péor, au pays de Moab. Mais aujourd’hui encore, personne ne sait où se trouve son tombeau. Moïse avait cent vingt ans quand il mourut ; sa vue n’avait pas baissé, sa vitalité n’avait pas diminué. Les fils d’Israël pleurèrent Moïse dans les steppes de Moab, pendant trente jours. C’est alors que s’achevèrent les jours du deuil de Moïse. Josué, fils de Noun, était rempli de l’esprit de sagesse, parce que Moïse lui avait imposé les mains. Les fils d’Israël lui obéirent, ils firent ce que le Seigneur avait prescrit à Moïse. Il ne s’est plus levé en Israël un prophète comme Moïse, lui que le Seigneur rencontrait face à face. Que de signes et de prodiges le Seigneur l’avait envoyé accomplir en Égypte, devant Pharaon, tous ses serviteurs et tout son pays ! Avec quelle main puissante, quel pouvoir redoutable, Moïse avait agi aux yeux de tout Israël !
Les textes du dimanche tombent à pic, si j’ose dire : Le récit du buisson Ardent en première lecture, une évocation de Moïse en seconde. L’évangile est davantage adapté à la journée mémorielle pour les personnes victimes de la violence et d’agressions sexuelles dans l’église.
Je reviens sur les signes que nous percevons en m’appliquant à montrer que le langage de Dieu est divers suivant les personnes qui l’entendent ou plutôt que chacun a sa manière de percevoir les signes que le seigneur peut lui faire. En tout cas, Dieu parle. Et Moïse le laissera parler. Il n’a pas dit -il s’agit de Moïse- « Après moi, le déluge », mais « après moi Josué. »
Moïse n’aura pas le bonheur d’entrer sur la Terre Promise ?
Mais il a le bonheur de contempler depuis là où il est : Galaad jusqu’à Dane, tout Nephtali, le pays d’Éphraïm et de Manassé, tout le pays de Juda jusqu’à la Méditerranée, le Néguev, la région du Jourdain, la vallée de Jéricho ville des Palmiers, jusqu’à Soar.
C’est-à-dire bien plus que ce que l’on peut physiquement voir depuis le Mont Nébo.
Oui, la Terre sainte est longue et large, à l’ouest et à l’est du Jourdain. Ainsi est notre terre promise, celle qui habite nos cœurs et dans laquelle résonnent les pas des patriarches, des prophètes, des prêtres et des rois puisque c’est ainsi que nous sommes configurés au Christ par notre baptême.
Notre guide nous l’a d’une certaine manière confirmé dans sa conclusion à notre pèlerinage quand il nous a dit : Je suis juif par le sang, chrétien par la foi, musulman par la religion.
Que celui qui dit qu’il comprend quelque chose à ce qu’est le Moyen-Orient s’agenouille immédiatement et batte sa coulpe pour demander pardon pour son orgueil !
Post-scriptum
Après cela, tout est allé très vite : repas chez une cousine du guide qui tient un restau très simple, visite du musée archéologique d’où l’on a une grande et belle vue d’Amman, promenade d’une bonne heure dans des rues commerçantes et, surprise du chef, passage rapide sous la pression de la responsable de l’office du touriste =, à la rencontre du Père x, déjà croisé au congrès des pèlerinages à Lille. On sent un peu, et même beaucoup, qu’elle a besoin de justifier son travail en faisant voir que grâce à elle (!) le tourisme reprend en Jordanie. Il faut dire qu’à part du sable et des vestiges archéologiques, il n’y a pas beaucoup d’autres sources de revenus.
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