Jordanie 2025

Vendredi 6 mars 2025

Va, quitte ton pays, la maison de ton père, pour aller vers le pays que je te donnerai. (Genèse 12)

Il y a quelques jours, je n’avais plus envie de partir. ça arrive. J’avais envie de rester chez moi, j’aime rester chez moi mais voilà, il faut se secouer, d’autant que beaucoup voudraient ma place et que j’aime ces accompagnements. Pour la deuxième fois je pars en Jordanie, l’autre Terre Sainte, la Terre Sainte orientale, la Transjordanie où souvent Jésus se rendait.

Le désert, le Wadi Rum, Pétra, las Nabatéens, Abraham, Moïse, le Capitaine Haddock, Indiana Jones, … puis au nord encore Moïse et surtout Jésus qui, par son baptême, rejoint l’humanité tout en bas. De quoi me plaindrai-je ?

Je me disais ce matin en faisant mes valises qu’Abraham avait sans doute moins de choses à emporter. Quoique ? Il était loin de se déplacer les mains dans les poches avec ses troupeaux, ses servantes, son neveu Loth … Même s’il n’est probablement pas passé par-là, on évoquera le père des trois grandes religions monothéistes. On évoquera aussi Moïse, le peuple Hébreux, Moïse qui a vu la Terre de la Promesse, au-delà du Jourdain, sans pouvoir traverser la rivière que Jésus, bien plus tard, pourra franchir pour ressortir du coté de la Terre de la Promesse. C’est au lieu de son baptême que nous conclurons en évoquant et Moïse, et le baptême de Jésus, et notre baptême. Alors, nous ne dirons plus que nous avons la foi, nous dirons « Je crois ! »

Première surprise : en arrivant à l’aéroport, en voyant les pèlerins je suis heureux de partir.

J’ai acheté des petites coupelles à l’aéroport d’Istanbul en prévision d’un geste avec l’eau du Jourdain, et une coupelle plus grande, aux couleurs liturgiques du carême, pour l’Eucharistie. Ça m’a occupé pendant l’attente entre deux avions car, partis de Bordeaux à midi après avoir passé tous les contrôles, nous sommes arrivés à 1h du matin à Amman et nous avons trouvé notre lit à 2h. Il est 7 heures et je prends un peu de temps pour refaire mes valises selon les besoins du jour. J’ouvre les rideaux et là, surprise ! je me crois à Wroclaw. Je me frotte les yeux et : oui, il pleut un fin crachin, le plafond de nuages est bas, mais nous sommes bien à Amman. Nous partons droit au sud pour aller au désert jusqu’à après demain matin et même plus car une bonne part de la Jordanie est désertique. Arrêt devant « les 7 piliers de la sagesse » comme les a baptisés sir Laurence, alias Laurence d’Arabie qui a rêvé une nation Arabe pour succéder aux Ottomans et aux Anglais. Nous faisons des sauts de puce sur les plateaux de trois gros 4×4 un peu spartiates. Ici, des hiéroglyphes ; là, un beau paysage … J’ai tellement froid que je finis dans la voiture, à côté d’un chauffeur qui roule sans permis tout en nous montrant son village au loin du haut de ses 20 ans.

« Vous, le gel et le froid, bénissez le Seigneur » Livre de Daniel 3

Je crois que j’ai bien fait de demander de célébrer la messe à l’intérieur. Nous lisons genèse 18, la rencontre d’Abraham visité par trois hommes qui disent « je », sous un chêne dont je me demande s’il n’est pas fantasmé car j’en ai vu peu dans la région. Au début de la célébration je demande à chacun de partager l’événement de la vie d’Abraham qui lui vient à l’esprit. Nous sommes dans un angle de l’immense salle du restaurant. Il fait bon, et nous chantons mal ….       Après un excellent repas fait de plusieurs plats de crudités puis de viandes ou poissons sous forme de buffet, nous fêtons l’anniversaire des deux Bernard du groupe. Mais nous ne trainons pas Demain, Laudes à 6h40

Samedi 8 mars

Pluie fine, brouillard épais sur la route montagneuse et enfin : Petra.

Le jour avançant, le soleil nous éclaire et nous réchauffe. Nous aurons beau temps jusqu’à la fin de notre pèlerinage. Ça aide !

Moïse, intrigué par un buisson qui brûle sans se consumer, a fait un écart pour voir de quoi il s’agissait. Mais les apôtres, eux, restent entre eux, sans changer quoique ce soit après la transfiguration de Jésus en présence de Moïse et d’Elie. Faire un écart par rapport au chemin prévu, se mettre à l’écart pour être tranquille ou pour se mettre à l’écoute du Seigneur, deux significations pour un seul mot, et d’autres significations négatives comme dans la parabole du bon Samaritain en Luc 10, 30-37 où, même si ce n’est pas le même mot, Saint Luc évoque le geste de faire un écart, mais c’est ici pour éviter de se mouiller au service du frère.                              

Quoiqu’il en soit, Jésus se mit à l’écart dans le désert pour y être tenté.

Nous célébrons la messe dans les ruines d’une basilique où l’on nous prépare l’autel. Se joint à nous un homme jeune, fils d’orthodoxe Polonais et d’une anglaise. Après le déjeuner au restaurant, les plus courageux monteront au monastère en grimpant les 800 marches pendant que d’autres reviendront vers l’hôtel situé juste à l’entrée du site.

Dimanche 9 mars

Nous allons à Kérak pour visiter le château construit par les croisés et allons célébrer avec le prêtre de la paroisse Melkite, Abouna Paul. C’est le premier dimanche de carême, mais, surprise, les paroissiens sont venus tôt ce matin ou viendront tard ce soir car le dimanche n’est pas férié. On aurait dû y penser ! Les melkites sont des orthodoxes qui se sont ralliés à Rome il y a trois siècles tout en gardant leur rite propre. Le curé concélèbre avec nous alors que sa femme et ses enfants préparent notre repas pendant lequel nous aurons un bon échange.

En passant à Um Ar-Rasas nous contemplons les mosaïques Byzantines des VI° et VIII° siècle, classées au patrimoine mondial de l’humanité.

Lundi 10 mars

Je pense que la visite des châteaux à l’est de Amman est en trop et que nous aurions pu éviter cette journée qui nous fait entrevoir la richesse et l’art des Omeyyades qui ont envahi ensuite le sud de l’Espagne où leur architecture s’est développée dans toute sa splendeur. Mais voilà entre deux châteaux l’heure de la messe. Nous allons célébrer dehors, à l’ombre, dans un endroit que l’on nous a préparé. La Jordanie a ceci d’extraordinaire que, tout en faisant figure de religion d’État, l’Islam, religion proclamée comme telle dans la Constitution de 1952, permet une certaine diversité religieuse dans le pays. Si la population jordanienne est à plus de 90% musulmane et environ 6% chrétienne, pour la plupart orthodoxes, on peut prier dehors, célébrer la messe sans que cela pose le moindre problème. Et là, je suis saisi, c’est la surprise du jour. Nous sommes à 60 km de la frontière Syrienne, et à 210 de l’Iraq, au cœur de ce monde. Cette région a vu passer d’est en ouest les Babyloniens et d’ouest en est les Romains et les grecs ;  et du nord au sud ou du sud au nord, depuis la Syrie comme depuis l’Egypte beaucoup de monde est passé par là, peut-être bien Abraham …

Alors nous pouvons prier et offrir, et nous offrir avec l’offrande du Christ, au cœur de ce monde.

Mardi 11 mars

Macheronte nous attend. La route est belle d’autant que le chauffeur s’en amuse en nous faisant passer dans des lieux intrépides. Nous serons probablement seuls sur le lieu où Jean-le-Baptiste fut tranché car il y a peu de pèlerins. Eh bien non, c’est la surprise du jour. De loin on aurait dit des chenilles processionnaires mais ce sont sept autobus noirs remplis l’Africains. Evangélistes, orthodoxes, catholiques, protestants, 350 Nigérians qui font un pèlerinage œcuménique. C’est à qui se fera photographier avec un blanc, c’est à qui rira le plus fort. Je mets la musique de Keur Moussa, de la Kora, mais ça n’émeut personne. Le calme revenu je mets du Haendel et dresse l’autel sur les ruines d’un mur. Le peuple se rassemble et nous entendons les textes de la messe pour la décollation, le martyre de Jean-Baptiste. Nous nous demandons comment Jean-Baptiste avait pu se poser des questions depuis son enfermement dans ces lieux. « Es-tu celui qui doit venir où devons-nous en attendre un autre ? »  Nous prions pour les martyrs d’aujourd’hui, tous ceux qui  qui subissent la violence.

La rencontre avec la paroisse de Saint Jean Baptiste à Madaba n’a pas eu lieu. Nous étions à l’heure mais il y a sans doute eu un malentendu. En pèlerinage il arrive fréquemment d’avoir à improviser. L’absence de rencontre est propice au commerce local …

Après-midi auprès de la Mer Morte mais il Reste une question à mon avis mystérieuse, aussi mystérieuse que la distance entre deux villages sur le chemin de Santiago, celle de l’altitude de la mer Morte. Dans les deux cas, d’un guide à l’autre les précisions sont divergentes, et pas qu’un peu. – 340 sur ‘Wikipédia’, – 400 m sur ‘Jordanie sur mesure’, – 410 sur ‘Wikidia’. Le plus souvent les guides indiquent – 430 mètres. Sur lace, un panneau annonce – 422

Ce temps de détente, de repos, permet de profiter d’un lieu pourtant dramatique. 90% des eaux du Jourdain ont été captés en amont pour l’agriculture. Un programme prévoit de pomper de l’eau dans la mer rouge pour qu’elle abreuve Amman, 4 000 000 d’habitants, une fois traitée par des usines de désalinisation. La mer Morte est en train de s’assécher. 70% de la population du pays est d’origine étrangère. Des Palestiniens de 1948,  puis de 1968 après la guerre du Kippour, des Syriens, des Irakiens … Et tout ce beau monde vit en paix sur ce territoire de la Jordanie, carrefour des nations, à l’instar de la Galilée, non loin, au temps de Jésus.

Mercredi 12 mars

La journée promet d’être chargée, d’autant plus que nous avons rendez-vous à l’aéroport à 23 heures !

Alors, nous partons de Madaba de bonne heure en allant au Mont Nebo pour voir Moïse, ou plutôt son tombeau, même si l’on n’a jamais retrouvé son corps. Bref, face à la Mer Morte nous lisons le dernier chapitre du livre du Deutéronome et chacun peut déambuler sur le site magnifiquement et sobrement restauré par les Franciscains, ou dans la basilique pour continuer à prier.

Nous repartons pour le musée d’Amman où je m’attache particulièrement à regarder comment est traitée la découverte des manuscrits de la Mer Morte, à Qumram. Un petit film sans parole permet de comprendre facilement le coté hasardeux de la découverte, joie des biblistes, joie des croyants, joie des romanciers. Je conseille de lire le Polar d’Eliette Abecassis, « Qumram », et ses belles pages sur l’écriture, la transmission et les passions des hommes, les pires et le meilleures, attisées par cette découverte.

Dernier épisode, et non le moindre : le renouvellement des promesses du baptême au bord du Jourdain.

L’environnement de part et d’autre de la route qui y mène est de plus en plus désertique jusqu’à quelques mètres de la rivière qui sont plus verts. A l’approche de « Béthanie au-dela du Jourdain« , il y a comme un concours d’églises, mais c’est au bord du Jourdain que nous voulons célébrer. La première tentative, dans le lieu le plus important, est occupé par des religieuses anglophones de Mère Térésa. Nous suggérons au guide un lieu, tout à coté, que nous préférons. Après un court mais propice cheminement pédestre nous célébrons là, devant le Jourdain, la dernière eucharistie du pèlerinage. Nous prenons mieux conscience que le Christ Jésus est non seulement descendu au plus bas de la terre émergée mais qu’il ne s’est pas arrêté-là. Il est de fait descendu dans le Jourdain pour aller au plus bas de l’humanité, pour dire ainsi, comme le dit Jürgen Moltmann, un théologien luthérien Allemand, que le dernier des hommes, s’il tombe encore, tombe dans les bras de Jésus ouverts sur la Croix. Mais encore, comme n’a pu le faire Moïse, Jésus ressort de l’eau dans laquelle il est déjà descendu comme il descendra au tombeau, et remonte du coté du Ciel Promis, du coté de la vie, ressuscité.

Tout le reste devient alors sans importance s’il n’est pas relié à cette réalité de la Foi qui éclaire toute notre vie, l’anime, lui donne sens, force et Espérance.

Comme dans les aventures d’Astérix, l’histoire s’achève sur un repas. Nous voyons ce qu’est la rupture du jeûne du ramadan dans un restaurant très fréquenté par des familles probablement de la classe moyenne. Je crois que nous sommes dans les derniers à quitter l’immeuble le plus tard possible puisque nous devons être à l’aéroport à 23 heures . Le décollage ayant lieu à 01h, je suis surpris une petite heure plus tard, émergeant d’un demi sommeil, que l’avion semble être en difficulté et que le sol s’approche. C’était d’ailleurs nous qui nous en approchions. J’avais oublié l’escale à Aqaba, ville conquise sur les Turcs par les Arabes sous la conduite de sir Laurence. C’est le jeudi à 11h que nous arrivons à Bordeaux pour la dernière surprise à ce jour : dans le hall de l’aéroport, alors que chacun a pu récupérer son bagage, tous se regroupent pour faire un mot de remerciement appuyé par des applaudissements. Si tout le monde est heureux, que ce bonheur ait sa source dans la Joie de l’Évangile et qu’il soit profond, durable et communicatif !


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