Une histoire que je n’ai pas eu le loisir de raconter sitôt après l’avoir vécue le 10 septembre 2001, les attentats du 11 ayant relégué notre aventure au rang des éléments obscènes de l’existence ordinaire.
J’étais encore curé de Libourne et il fallait faire vite pour réaliser mon projet : monter au Pic Brulle, du nom du pyrénéiste libournais (29/1/1854 – 21/8/36) tant que je serai habitant de cette ville qui le vit naître. De fait, il me restait un an pour gravir le pic central des Pics de la Cascade au-dessus de la naissance du gave de Gavarnie, devenant vers l’aval gave de Pau avant de se jeter dans l‘Adour puis l’océan Atlantique. J’embarquai le dimanche 9 septembre mon cher Eric Caillard qui m’aurait suivi n’importe où à l’époque, et nous arrivâmes en voiture à 18 heures au Col des Tentes, à un kilomètre du Col de Boucharo. Le gardien du refuge m’avait bien dit d’être là pour le repas de 19 heures, ce que je fis pour honorer ma promesse après avoir marché rapidement, au bout de mes limites. « Je suis désolé » me dit-il, « je vais devoir vous faire attendre le second service à 20h, j’ai plus de monde que prévu, j’avais oublié que les Catalans ont un long ouiquende où ils font mémoire d’un combat perdu, « una derota ! » Et moi qui avais quasiment couru ! Une bière plus tard, j’étais consolé de ma déconvenue et une heure après récompensé de mon ardeur !

Nous décollons le lendemain à 7h30 pour franchir la brèche à 8h. C’est qu’il ne faut pas traîner, la course sera longue, il faut faire le tour du cirque, le refuge des Sarradets faisant face au Marboré derrière lequel pointe le soleil. Car il fait beau, très beau. L’air est pur et léger et ne changera pas en cours de journée. La limpidité du ciel nous dévoile les crêtes du sud et nous aurons, marchant d’ouest en est, le soleil du jour sur notre droite. Pas de chaleur, nous sommes au sud du cirque de Gavarnie et marchons entre 2800 et 3100 mètres d’altitude. Il faut d’abord, ressurgir sur la crête au Col de la Cascade pour une bonne pause. Nous sommes dans les temps, les sacs sont légers, en fin de saison nous sommes gaillards, je vais bientôt avoir 50 ans.
Du col de la cascade nous contournons par le sud le Pic de l’Epaule pour remonter sur la crête d’ouest en est, d’abord sur le premier pic et nous enfilons ensuite le Pic Occidental (3095), le Pic Brulle (3111) et le Pic oriental de la cascade (3161 m). Nous nous posons un peu plus longuement que sur les autres sommets sur le Pic Central, Pic Brulle. Je ne sais si c’est là où plutôt sur le Pic oriental que nous voyons, proche de nous, le sommet suivant, le Pic du Marboré (3248), vaste plateau sur lequel on pourrait faire manœuvrer un bataillon disait Russel. « Tu y es déjà allé ? » Dis-je. Devant la réponse négative et n’écoutant que mon désir de performance tout en voulant saisir l’opportunité, nous y allons. ¾ d’heure environ. Chaque fois que nous redescendons d’un sommet, nous perdons entre 50 et 100 mètres d’un dénivelé qu’il nous faudra récupérer ensuite !

Du sommet du Marboré nous voyons, plein ouest, le refuge des sarradets, minuscule. Il est à 4,5 km à vol d’oiseau, mais nous ne sommes pas des oiseaux. Nous redescendons pour passer au pied de chacun des sommets que nous avons gravis et, contournant le dernier, le Pic de l’Épaule, nous remontons facilement jusqu’au Col de la Cascade. Depuis-là, en marchant sur la crête, je suggère de passer par la Tour du Marboré (3009 m) pour redescendre vers l’ouest assez facilement, ce qui ne m’empêche pas de chuter sans dégâts au bas d’un court névé. Le chemin remonte ensuite vers la brèche de Roland. Le soleil nous brûle le côté gauche et peu à peu nous fait face. Franchie la brèche, nous redescendons au refuge récupérer les affaires de la nuit. M’asseyant, je fonds en larmes, je me vide alors que j’ai subi me semble-t-il une insolation, et les larmes ne cessent pas. Je fais ça aussi discrètement que possible même si je ne contrôle rien. Eric me dira quelques années plus tard n’avoir rien aperçu.
Le retour jusqu’à la voiture n’en finit plus. Nous marchons face au soleil et arrivons au Col des tentes vers 18h. Je suis épuisé et demande à Eric de prendre le volant. Nous nous arrêtons à Luz pour dîner mais rien ne passe. Après l’effort de la journée je ne parviens pas à manger.
6 passages à 3000 ! Journée d’anthologie que cette sortie au Pic Brulle où le curé de Libourne voulait honorer Henri Brulle qui a laissé son nom au Pic Central de la Cascade !
Eric conduit jusqu’à Haux où sont ses parents. Je suis capable de terminer la route seul jusqu’à Libourne. Le lendemain …

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