Tamanrasset 2023

Tamanrasset 2023

Le début est toujours délicat. Faire un groupe, plus encore une fraternité, demande une certaine vigilance Il ne faut aller ni trop vite, ni trop lentement. En fait les événements vécus ensemble forment le groupe, il faut que le groupe lui-même entre dans une histoire qu’il écrit. Pour le moment, en entendant à l’aéroport, ceux qui parlent causent d’attente dans les aéroports, au passage de la douane on raconte ”la fois où” il s‘est passé quelque chose d’incongru, à la police quelqu’un rappelle ce qui était arrivé à une personne ayant perdu son passeport … et ainsi va la vie, ainsi va l’attente, avec l’impression que la police nous demande des choses que l’on a déjà transmises plusieurs fois. Il suffit de prendre son temps pour éviter que d’autres nous le volent et tout naturellement les conversations s’approchent du sujet.

Le passage express à Alger nous y aide : la traversée de la ville en voiture, la rencontre avec le P. José et son langage imagé (Il peut faire tellement froid ici l’hiver que Jésus n’est plus crucifié, il est congelé), la découverte avec lui de Notre Dame d’Afrique où il est écrit à la base de la coupole : « Notre Dame d’Afrique, priez pour nous et pour les musulmans” donne le ton du sens, ici, du mot évangélisation. Être avec, être au milieu, vivre avec serait plus juste. Trois petites sœurs de l’évangile, ayant appris que nous passions par-là, sont venues nous rejoindre et sont restées avec nous pour la messe en la chapelle Saint Joseph. Viens, suis-moi dit Jésus à Matthieu ! Pour le moment nous suivons notre charmante guide qui nous montre et nous dit l’essentiel au fur et à mesure d’une nouvelle traversée de la ville en direction de l’aéroport. Un arrêt dans un bon restaurant est plutôt bienvenu car le sandwich fait du jambon blanc de Bordeaux et du pain bio de Libourne est un peu loin ! Et d’attendre pour un contrôle des bagages à main, et d’attendre pour le passeport … Nous avançons ainsi dans la nuit. Petite consolation : je ne sais par quel miracle nous sommes surclassés et profitons de larges fauteuils pour le trajet Alger-Tamanghasset, plus long que Toulouse-Alger. On dit qu’Alger est plus proche de Paris que de Tamanghasset. On attend alors les bagages, on attend ensuite la police qui va veiller sur nous tout au long du séjour. Ces moments mûrissent aussi les rencontres : la rencontre entre-nous alors que l’on commence à se connaître, la rencontre avec un peuple alors que nous apprécions l’accueil qui nous est fait, la rencontre avec Dieu qui nous attend au désert et déjà dans “tout ça”… Ceux qui sont venus nous chercher à l’aéroport nous conduisent au camping, nous répartissent dans les chambres et nous n’attendons pas pour dormir jusqu’au lendemain 7 heures. 

Dimanche 15 janvier 2023 

La matinée est consacrée à la rencontre. D’abord Martine, ici depuis 1999, et avec Michel, prêtre du diocèse d’Ars Belley. Après avoir été aumônier de Lycée, curé, aumônier d’hôpital, de prison, Michel a répondu à l’appel relayé par le journal La Croix pour passer quelques années ici. Nous écoutons, dans l’église paroissiale qui fait 20 m², un enregistrement du P. Antoine Chatelard qui a travaillé ici comme prêtre et “connaisseur” de la vie de Charles de Foucauld. La conversation qui va jusqu’à parler de l’Église aujourd’hui et de nos engagements dans la foi dure jusqu’à la fin de la matinée, laissant la place pour passer au magasin acheter quelques produis de l’artisanat local. Le chèches ont du succès. Nous reviendrons le soir pour y célébrer l’Eucharistie présidée par Christian. La célébration eucharistique n’est pas le tout de la vie Eucharistique dit l’un d’entre nous. Les petits frères qui nous ont rejoints pour la messe ne diront pas le contraire, eux qui sont parfois restés plusieurs semaines sans prêtre, donc sans célébration de l’Eucharistie, comme Charles qui n’avait ni le droit de communier seul, ni celui, pendant une période, de garder le Saint Sacrement chez lui. C’est d’ailleurs Laperrine qui lui annoncera la bonne nouvelle qu’il en avait obtenu l’autorisation. (ça montre aussi l’importance de Laperrine dans l’histoire de Charles, question à creuser). 

L’après-midi avait commencé par une sieste réparatrice, avant de faire un peu les traine-savates en ville avant de célébrer. Relecture dans la soirée en présence de nos hôtes qui sont quand même chez eux. Tout le monde arrive à parler, parfois même à écouter. Chérif, qui porte bien son nom si ça veut dire chef, est interrogé et répond avec plaisir et compétence. Son frère (il en a 4) ingénieur hydraulique (dans hydraulique il y a drôle !!) participe moins. Il est devant le chef ! Très bonne nuit ! 

Lundi 16 janvier 

Les choses sérieuses commencent. Bien préparer son bagage qui sera porté dans la voiture, prévoir le froid, ce dont nous aurons besoin en cours de route … et nous voici partis … ou presque, car il faut attendre les militaires qui nous accompagnent. “ Quand vont-ils arriver ? Dans un quart d’heure, une heure ou deux”. Certes, nous savons que si nous avons la montre les africains, même si les africains du nord gardent ce qualificatif pour les africains sub-saharien, ont le temps, surtout les militaires semblent-il, d’autant qu’ils n’apprécient pas d’avoir à nous accompagner pensant, à juste titre me semble-t-il que ça ne sert à rien. Douze militaires en trois voitures pour accompagner dix pèlerins et six touareg en quatre voitures (3 + intendance), ça crée des emplois ! 

Arrêt devant les gravures rupestres de TAGMART qui me passionnent autant qu’à l’habitude et nous pénétrons peu à peu au cœur d’une région désertique dont les reliefs sont fabuleux. Les voitures nous arrêtent à la mosquée, ruine possible d’une mosquée qui reprend son office au passage de nos guides.  Nous continuons 200 mètres à pied jusqu’au bivouac déjà monté dans le cirque d’Ilamane. Nous montons un peu au-dessus pour un temps personnel de méditation à partir d’un court texte de Charles sur la beauté du désert, avant d’entendre à la messe le récit en Saint Marc des tentations de Jésus au désert. Rassemblés dans ce cadre merveilleux pour ceux qui aiment les déserts nous écoutons le 1° récit de la création. Simple célébration au cœur du cirque qui me ramène (le cirque) au poème de Victor Hugo inspiré par Gavarnie. 5000 vers ! Les romantiques, en littérature comme en musique font souvent un peu trop long. Retour au lieu du bivouac pour le repas puis veillée au chant mélodieux de nos amis qui nous bercent ainsi favorisant notre endormissement. C’est le froid qui tiendra éveillés la plupart d’entre-nous. Quelle heure peut-il être ? Peut-être puis-je tenir jusqu’au jour ? Je me contorsionne dans mon sac de couchage ce qui me réchauffe un peu pour attraper mon téléphone. 3 heures ! Il faut que je sorte faire ce qu’il faut. Gloire à Dieu pour la prostate ! Le ciel est époustouflant, exceptionnel ! Il n’y a ici aucune pollution lumineuse et l’altitude aidant, 2000 mètres, ajoutée à la limpidité de l’air, laisse voir mille étoiles, deux mille ou trois. … On a cela nulle part ailleurs, même au Pic du Midi de Bigorre où Dieu sait que les lever du soleil sont somptueux.  Ce n’est pas cela qui m’a fait recommencer l’opération quelques heures plus tard … mais quand même, quelle récompense ! 

Mardi 17 janvier, Saint Antoine, protoptype des ermites du désert.

Nous repartons quelques petites centaines de mettre à pied, guidés par notre pisteur (!) avant que les voitures nous rejoignent. Nous marchons lentement en longeant le massif de la Taessa au milieu de blocs de granit en forme d’allumettes. Rejoints par les voitures, nous regagnons Terhenanet pour être reçus par le chef du village. Je ne comprends pas un traître mot de ce qu’il nous dit et quand je vois l’attitude d’Isabelle écoutant les réponses qu’il fait aux questions qu’elle a posées, je pense que je ne suis pas le seul. Mince consolation !

Suit la pénible opération achat de choses qui ne servent à rien ou quasiment. Les femmes sont dehors et exposent leurs travaux. Petits ou grands plateaux tressés, j’en achète un pour faire corbeille à pain, autres vanneries, travaux de cuir … On discute les prix, c’est le chef qui commande ou Cherif, elles sont soumises.

Nous repartons jusqu’au lieu du piquenique, sacré piquenique d’ailleurs, que nous ferons précéder d’un temps de méditation à partir d’un texte de Charles et d’un autre du pape sur “la petite église” du Kazasrthan, et c’est le retour au camp pendant lequel je dors trop souvent.

Il y a deux jours, pendant que le P. Michel nous disait comment il était arrivé ici après un appel transmis par le journal La Croix je me demandai si ce n’était pas pour moi. C’est à la sortie qu’Isabelle me dit qu’elle se disait en l’écoutant qu’elle me verrait bien dans cette situation. Je suis un peu troublé, d’autant que les paroissiens de Ste Geneviève se préparaient à s’auto célébrer à l’occasion de l’anniversaire de l’église au lieu de prier pour l’unité des chrétiens et de célébrer le dimanche de la Parole. Je vois les courriels défiler et je sens la perplexité de Gaston devant la situation. La lecture du jour ne m’aide pas, du moins pas comme je le voudrais : “Dieu n’oublie pas votre action ni l’amour que vous avez manifesté à son égard, en vous mettant au service des fidèles et en vous y tenant. … jusqu’à la fin “ He 6,11s

Au retour au campement Isabelle reçoit un appel du directeur de l’agence qui demande si je ne peux pas rester pour être avec le groupe suivant, le prêtre accompagnateur n’ayant pas obtenu son visa. Mon trouble demeure … Il faut vraiment que je retrouve un conseiller spirituel.

Mercredi 18 janvier 2023

Départ pour l’Assekrem. Même opération qu’il y a deux jours en prenant bien soin de doubler les protections contre le froid. Nous avons le temps de chanter les vêpres en massacrant un peu les psaumes car pour bien les chanter il faut s’écouter pour s’ajuster et il se trouve que nous ne nous écoutons pas beaucoup. On pourrait croire qu’n petit groupe est facile à conduire, eh bien non ! Chacun donne son avis sans écouter les autres, et in fine personne ne sait ce qui a été décidé. On y arrive quand même. 

La route est longue avant d’arriver au col où le vent nous saisit. Nous mangeons à l’intérieur à croupeton devant nos assiettes toujours bonnes à déguster comme on dit dans les restaurants chics. Et nous montons. Ceux que l’on aurait pu croire les plus aptes sont ceux qui ont le plus de mal mais en une demi-heure nous sommes sur le plateau, accueillis par le P. Polonais qui nous dit en avoir marre de répondre toujours aux mêmes questions et par le P. Ventura, plus loquace, qui nous dit la difficulté de vivre ici pour accueillir des touristes parfois difficiles. Ce n’est pas la vocation des petits frères que de vivre ermites. C’est plutôt d’être auprès et avec ceux qui sont les plus loin et les plus pauvres. Mais s’ils venaient -ou quand ils viendront- à quitter l’Assekrem le site serait très probablement repris par les autorités algériennes dont certaines parlent encore de Charles de Foucauld comme d’un espion à la solde de la France.

Le spectacle est toujours aussi fabuleux, c’est bien le mot. Cette mer de sommets qui ne bouge pas mais change de couleurs à chaque instant nous tourne vers le Dieu créateur et Sauveur.

En célébrant le propre de la messe de Saint Charles Christian nous fait percevoir que notre vie est d’aller de sommets en sommets, tout en redescendant parfois brutalement dans le creux de la vague. Du coup, nous partageons sur les Saints qui marquent notre vie, qui nous donnent envie d’être plus près de Dieu et de nos frères.

Musique, deux guitares et un bidon-tambour, un chanteur (un peu à l’ouest me semble-t-il mais bien sympa) embellissent la soirée.

Jeudi 19 janvier 2023

Réveil à 5h 40, départ dans la nuit à 6h. A l’est le ciel rougeoie et la montée dans le froid est somme toute assez facile. En haut, blottis contre la maison de Charles, nous attendons dans le silence que le soleil se montre entre deux pics. Contrairement à hier au soir nous sommes seuls, ce que nous ne regrettons pas. Beaucoup d’hommes préfèrent les coucher de soleil au lever, moi l’inverse. C’est pourquoi je repars en traversant le plateau vers l’ouest. Je suis un peu déçu car la lumière est diffuse alors que la fois précédente, en décembre 2019 j’avais vu les sommets rougir l’un après l’autre au moment où la lumière du soleil levant les frappait, tel un projecteur ou même plusieurs qu’un mystérieux machiniste aurait allumés chacun à leur tour.

J’aurais envie que le pélé s’arrête là et je persiste, au moment où j’écris, que ce devrait être ainsi ou plutôt le soir, après la rencontre de Mme X au bjorg et des frères Jean-Marie et   chez Martine.

Rentrés au camping pour le temps d’une douche, après être passés dans un site curieux de bassines géologiques creusées par une eau dont il ne reste qu’un petit filet et quelques flaques, nous rencontrons donc les petits frères. Il s’agit pour eux d’être avec et parmi eux, les musulmans de cette ville, de cette région, de ce pays ; de vivre de leur travail comme Jésus vivait à Nazareth. Reste à creuser l’appellation “Vie cachée de Jésus à Nazareth” car sa vie n’est pas cachée, seulement sa divinité qui est ensuite affirmée peu à peu selon les récits évangéliques, et d’abord par les démons selon l’évangile de Marc. Car les démons croient en la divinité de Jésus et savent que, s’il sauve, ils seront perdus, d’autant plus perdus car s’ils ont la foi, il leur manque l’amour. 

Nous évoquons aussi la situation des français en Algérie, tout particulièrement des religieux ; mais comme disent certains musulmans en parlant aux religieux catholiques : “Si vous partez, nous sommes perdus.” De fait l’amitié des gens du peuple pour les frères et peut-être même pour les Français contraste avec l’inimitié des discours officiels. 

En soirée ça cause bien entre nous et les hommes d’ici, surtout avec Chérif, 31 ans, nouveau patron de la structure, bien formé par son père décédé il y a deux ans.

Il a neigé en France

Vendredi 20 janvier 2023

J’ai cru que cette journée était en trop et je me suis peut-être trompé. De fait l’acuité spirituelle a diminué, me semble-t-il, mais Christian nous fait remarquer que si l’on va de sommets en sommets on ne marche pas toujours sur la crête.


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