Mercredi 11 janvier 2012

À 4h 15, je n’y tiens plus, j’ai l’impression de m’être réveillé tous les ¼ d’heure depuis mon coucher tardif une fois rentré du conseil pastoral ! Bref, après avoir vérifié 20 fois que mon passeport est bien à sa place, le billet, la CB,… je vérifie encore, emporte deux bouteilles et dépose ma voiture au centre Beaulieu. C’est à pied que je rejoins Talence où mes deux compagnons de route m’attendent : Pierre-Alain Lejeune et Aloys Vimard. Nous allons voir Guillaume Geffard, qui est coopérant en Guinée. C’est un filleul de Pierre-Alain et un copain de scoutisme d’Aloys. Je connais plus leurs parents qu’eux mêmes et j’ai fait un peu d’intrusion dans ce petit groupe. Quand j’ai demandé à Pierre-Alain quand est-ce qu’il partait en Afrique, il m’a répondu quelques jours après : « pourquoi cette question, tu veux venir ? » Il aurait dû se méfier.

7h 30 : décollage de Bordeaux. 11h 30 : décollage de Roissy 15h 50 : nous sommes à Conakry 16h 45 : départ de l’aéroport 19h 15 : arrivée à Boffa (140 km) Les formalités étant accomplies, les montres mises à l’heure GMT, nous trouvons Guillaume qui nous attend à l’extérieur de l’aéroport et nous conduit jusqu’au taxi qu’il a d’avance réservé. Une Super 5 (au moins 27 ans !), essentiellement jaune. Cinq personnes, 4 sacs à dos, une valise, 4 petits sacs de voyage et nous voilà partis. Je n’aurais pas parié sur un parcours sans panne mais j’aurais eu tort.

Ce qui d’abord me frappe c’est de retrouver l’Afrique d’il y a 40 ans (38 pour être exact), en pire : équipements quasi inexistants, pas ou peu d’électricité, routes précaires, et voitures vétustes, très vétustes. Mais ce sont des Renault et des Peugeot, des voitures qui ne sont pas remplies d’électronique (elles sont préhistoriques) et qui sont réparables et même « bricolables ». Toutes surchargées, y compris avec des passagers sur le toit. La traversée de la presqu’île où est situé l’aéroport est un peu cavalière. Tous conduisent au klaxon et c’est celui qui fait le plus de bruit qui passe. De temps en temps nous sommes arrêtés. On nous demande nos papiers que nous présentons plus ou moins. C’est sans doute avant tout pour montrer qui est le chef, mais aussi pour parler. On n’a jamais osé nous demander de l’argent mais parfois le chauffeur a du lui-même glissé discrètement un petit billet. Mais le sésame, dans cette région, c’est « Charente-Maritime ». Dire que l’on travaille avec eux accélère le processus de libération du passage !

Je fais des photos depuis la voiture. Peu à peu, la nuit tombe. Le chauffeur allume ses codes quand on s’apprête à croiser quelqu’un. Nous entreprenons quelques dépassements qui me font penser qu’ici, on croit que notre avenir est écrit : mektoub en arabe. La cause de notre mort serait davantage due à ce que Dieu en a décidé qu’au fait qu’on a doublé sans visibilité en 3° position ! Le taxi s’arrête devant la maison de Diplos Toc-toc-toc, ça va ? ça va, ça va bien … Cet homme nous accueille dans sa maison et nous laisse même sa chambre. Père de trois enfants, il a des responsabilités dans le village. Il y est fort connu, ce que nous vérifions alors qu’il nous amène dîner avec lui dans un petit restau local que l’on appelle « maqui » en Afrique occidentale. Nous mangeons un plat commun de nouilles avec sauce poisson directement de la main droite, préalablement lavée. C’est excellent, et la bière qui suit, un peu en cachette dans ce pays surtout musulman, est du meilleur effet. Nous faisons ensuite un tour vers le port. Le ciel est merveilleux et, comme il n’y a pas de lumière artificielle, celle des étoiles scintille à nos yeux de façon nouvelle jusqu’à l’heure où la pleine lune semble prendre le dessus.

Une certaine activité règne autour du port où la térèbre est paraît-il propice à l’exercice d’activités plus ou moins licites. Notre hôte nous fait ensuite passer dans une concession où sont présents des responsables politiques et administratifs du conseil général de la Charente Maritime et de la commune de Marrans. La ville de Boffa leur est jumelée et ils y font sans doute de bonnes choses, ce qui autorise aussi ces hommes à être contents d’eux-mêmes. Ils parlent sur tout, du paludisme au vin sans oublier des allusions grivoises. Heureusement que nous avions déjà bu nos deux canettes car ce n’est pas ici que nous aurions étanché nos gosiers ! Allez ! Une troisième à la maison et au lit. Bien que levés tôt, nous avons du mal à nous coucher. Le matin, 0.5° à Langon, le soir 25° à Boffa. 4000 km à vol d’oiseau. Dépaysement garanti, sauf qu’ici comme ailleurs il y a des hommes avec leur propre destinée.

Boffa est une ville de Guinée, en Afrique de l’Ouest. La Commune Urbaine de Boffa se trouve dans la Préfecture du même nom, en Guinée Maritime, et a une superficie de 686 km² (10°10′N, 14°02′W). Distante de 150 kilomètres de la capitale guinéenne, Conakry, Boffa compte près de 30 000 habitants en 2007 (contre 9,100 km² et plus de 165 000 personnes pour l’ensemble de la Préfecture). Elle se situe le long de l’océan atlantique sur un axe Conakry-Boké et est traversée par le fleuve Fatala. Depuis le 25 mai 2004, un pont de 125 m enjambe ce fleuve, ce qui a considérablement changé la physionomie de la ville. En effet, la présence d’un bac auparavant permettait aux boffakas d’avoir un certain nombre d’activités liées à la traversée (commerce, hébergement et restauration). Le pont n’oblige plus les voyageurs à s’arrêter à Boffa et cette dernière n’est donc plus une ville de passage.

Une nouvelle dynamique est à trouver afin de redynamiser la ville, notamment par le retour à des activités liées à la pêche, à l’agriculture, au commerce et à l’artisanat. Ceci étant dit, la présence depuis 1992 de Charente-Maritime Coopération (une coopération décentralisée appuyant les collectivités locales de la Préfecture de Boffa dont la Commune Urbaine) ainsi que la venue de nouveaux entrepreneurs tels que BHP Billiton (exploitation de l’alumine) en 2006 autorisent à penser que le développement de la ville est en bonne voie, aussi bien par les projets de solidarité internationale que par les activités économiques d’entrepreneurs nationaux ou internationaux, toujours friandes en main d’œuvre.

Les dernières élections municipales en Guinée de décembre 2005 ont autorisé l’UFR, parti de l’opposition, a remporté la municipalité devant le candidat du PUP, parti du Président de la République Lansanna Conté.

Boffa est depuis 2007, jumelée à la ville de Marans en charente Maritime (17).

Jeudi 12 janvier 2012 

« Nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons » Matthieu 14/17

« Comment ça va bien ? ça va, ça va bien ! » J’ai l’impression que notre hôte veut montrer qu’il connaît du monde, et de beau monde (c’est de nous que je parle !). Il nous présente au collège voisin, 750 élèves, au lycée dont il est président des parents d’élèves. Puis nous revenons au port où il achète du poisson frais. Passage ensuite par le poste d’essence, dont la pompe fonctionne à la main, ce qui est mieux qu’ailleurs où l’on achète le carburant au litre, en bouteille verre ou plastique. Diplos nous prête son chauffeur et sa voiture pour nous conduire à Bongolon, but de notre voyage.

Mais en Afrique occidentale on ne part pas le jour où l’on embarque ! Nous passons à la gare des taxis où nous mangeons une omelette et buvons un grand nescafé (avec du lait Gloria ou du Nestlé ? On ne m’a jamais proposé ce choix en France !)

Diplos essaie de nous présenter au directeur de je ne sais quel organisme, mais il est absent. Ici, tout le monde est chef de quelque chose ou de quelqu’un : « Guillaume, dit-il, si tu as un problème de transport, demande le Général. Bien qu’à la retraite, il a ici de l’influence ! » Nous repérons le général qui me fait penser à la chanson des frères Jacques « de bon matin me suis levé c’était dimanche, à la carriole j’ai attelé la jument blanche, pour m’en aller au marché dans le chef-lieu du comté, parait qu’y avait des généraux à vendre »

Il y a aussi, non loin de là, une chèvre qui vient d’être égorgée et dont la peau, elle aussi, sèche au soleil. Derrière nous une radio diffuse une émission politique. Beaucoup passent nous saluer : « ça va ? ça va, ça va bien : et vous, ça va ? ça va un peu ! »

Ça va, ça vient. Nous quittons notre hôte, conduis dans sa vieille Mercedes. 3 km plus loin il faut s’arrêter pour réparer le pot d’échappement : un coup de téléphone au patron et voilà un coursier à mobylette. En deux temps trois mouvements la réparation est faite ! Au goudron, avec des trous plus ou moins énormes, succède la piste qui se rétrécit nettement quand à Dondé nous tournons à gauche jusqu’à Duprou où nous nous arrêtons saluer le maire du village qui a signé notre demande de visa. Plus que 4 km et nous arrivons devant la maison de Guillaume qu’il partage avec Frédéric, coopérant Québécois qui travaille sur le même site.

Ça va ? ça va, ça va bien !

Nous allons visiter le port où travaille Guillaume. Mais pour y aller il faut traverser le village qui s’étend de part et d’autre de la route sur 2 petits km. Petits quand on n’est pas connu mais avec Guillaume qui revient de vacances, ça allonge la distance. Hééeeee Guillaum ! et que je t’embrasse, et que je te serre la main, il y a du Jacques Chirac chez cet homme au sommet de sa popularité !  Après avoir salué la famille qui vient d’accueillir, ô surprise, deux jumelles que nous reverront demain, nous parvenons à « la Banquette » où quelques personnes sont regroupées attendant qu’un gamin ait fini de décharger une barque de retour de la pêche. Il fait des allers-retours, bassine pleine de poisson sur la tête, pieds nus. Tout le monde le laisse faire. Quand il aura fini, des hommes feront à même le sol le tri de ce poisson et le répartiront en tas d’ un poids approximativement égal.

C’est ce que les femmes achètent et qu’elles fument après les avoir vidés. Nous visitons le hangar où se fait le fumage sur des claies au-dessous desquelles fument des feux de bois régulièrement entretenus. Chaque femme fait sa propre œuvre. Le travail de Guillaume, ce que j’en ai compris, consiste à associer tous ces partenaires pour qu’ils gèrent ensemble ce port de pêche artisanale. 

Il semble qu’il y ait actuellement peu de pêche car de nombreux pêcheurs sont allés se rattacher à un autre port où les Coréens viennent acheter, un peu plus cher, une certaine espèce de poisson dont ils sont friands. Résultat, les femmes d’ici ont moins de poisson, moins de travail, moins de revenus …

Regarde ce qu’il y a dans ton assiette : si ça te nourrit, ça en affame peut-être d’autres !

Vendredi 13 janvier 

« Ce que vous avez dit à l’oreille sera prêché sur les toits » Luc 12/3

J’ai fait chambre à part, ça vaut mieux pour les autres. Porte et fenêtre ouverte la nuit est agréable. La moustiquaire protège non seulement des moustiques mais encore d’autres intrus possibles.

La maisonnée s’éveille lentement, y compris ceux qui partent au travail. Nous retrouverons Guillaume au « baptême » entre 9 et 10 heures. Arrivés vers 10h 30, nous sommes loin d’être en retard. La sono est à donf ! On rajoute quelques chaises en plastique (si agréable sous cette chaleur) et on nous met en bonne place. Le papa des jumelles est venu nous saluer. Guillaume nous donne au fur et à mesure le mode d’emploi de ce rite étonnant. Des enfants s’agglutinent autour de nous, se pressent contre chacun de nous, refusant de partager leur place ! De temps en temps un homme vient les faire circuler mais inlassablement ils reviennent.

Quatre femmes griot sont assises face à nous, porte-voix en main. Tout à l’heure, elles tenteront leur chance. Alors que la sono diffuse encore une musique qui hésite entre tradition et modernité, elles se lancent dans de brefs monologues simultanés. Se levant, elles commencent en se mettant face à moi, privilège de l’âge et de la barbe blanche sans doute ! Je ne comprends bien sûr rien de ce qu’elles disent, surtout pas le mot argent !

Dans un instant autre sera le griot. Tout se tait. La mère arrive avec ses bébés. Quelques femmes sont avec elle, en habits de fête. Les hommes, eux, si ce n’est quelques vieux, n’ont fait aucun effort vestimentaire : vieux adidas et vieux nike règnent en maitres. Les deux biquettes qui passent ont, elles, une jolie pelure, mais elles vont faire les frais de l’opération.

Le vieux du village commence un monologue retransmis phrase après phrase par le griot à l’aide de son porte-voix. Ainsi sans doute parlait Jésus quand il y avait foule, sans d’autre porte-voix que la bouche de quelques griots … De temps en temps, de l’argent circule. Un autre vieux prend la suite du chef du village, plus brièvement, puis un troisième. Plus enthousiaste il se laisse emporter par ce qu’il dit, par son succès. Nous ne comprenons pas. Pendant ce temps l’argent circule. Guillaume nous explique qu’il s’agit de rémunérer telle confrérie, telle corporation qui sera chargée de prier pour les bébés. Un homme tient un cahier de comptes et le père est très attentif à tout cela. La mère, fort belle, assise au centre sur un tapis, reste impassible. 

Tout à coup, le débit de l‘orateur cesse. Tous se mettent à prier, assis, passant leurs mains sur le visage, récitant vraisemblablement quelque sourate du Coran. Soudain, le rythme change. Le dernier orateur reprend et donne le nom des deux enfants. Au même instant, à 2 mètres de là à même le sol sableux, les deux biquettes passent de vie à trépas. Et la sono reprend à donf ! Les femmes se lèvent et se mettent à danser, sans doute jusqu’à … fatiguer !

On nous installe à l’abri, autour d’un plat de riz sauce poisson un peu pimenté et ma foi délicieux. Une servante, debout, fait le tri des arêtes à même notre plat ; elle goûte même de temps à autres. Puis nous quittons la fête.

Après une longue sieste c’est à pied que nous allons au village à la recherche d’une moto. Le fils du chef qui nous prête la sienne, sans phare et sans frein avant. Le seul frein arrière est d’ailleurs capricieux et Pierre-Alain devra adopter une conduite prudente.

Il est déjà tard quand nous partons sur trois motos, Pierre-Alain et Aloys, Guillaume et moi, suivis de Frédéric que nous perdons en route. Inquiets de son sort nous le retrouvons dans un petit hameau en train de faire réparer la chaine de sa moto. Nous sommes sur le continent de la débrouille !

Visite d’un port. La mer est loin à cette heure mais le site est beau. Nous repartons vers Bongolon en suivant la côte au plus près. Si nous voyons plusieurs mosquées, une seule église s’offre à notre regard ; Guillaume y est allé une fois pour une assemblée sans prêtre. Sur la plage où il est trop tard pour se baigner, ou trop tôt comte tenu de la marée, nous contemplons le coucher du soleil, le scintillement progressif des étoiles qui couvrent le ciel. « À voir le ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoile que tu fixas, qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? » chante le psaume 8.

Deux ou trois solitaires passent au loin dont André qui s’approche pour nous dire : « je m’appelle André, je suis le chrétien de ce village » nous avons juste le temps de lui répondre que nous sommes chrétiens nous aussi, qu’il a déjà disparu !

Aujourd’hui, plusieurs scènes nous rappellent l’évangile : non seulement André sur la plage mais aussi les filets, les pêcheurs, les poissons, les enfants qui embêtaient les apôtres et que nous avons peut-être accueillis comme Jésus ; jusqu’à ce griot qui répétait à voix haute ce qu’il entendait tout bas et que nous avons d’ailleurs revu dans un autre village (il a du faire une bonne journée !). Ces rappels de l’évangile dont nous citons au hasard la référence amuse nos compagnons qui se moquent gentiment de nous. C’est aussi pour leur faire un clin d’œil que je me permets de le citer en début de chapitre !

La Bonne Nouvelle court d’une bouche à des oreilles et court ainsi jusqu’aux extrémités de la terre. Mais elle est vide si elle ne touche d’abord notre cœur.

Le convoi s’ébranle dans la nuit. D’abord Guillaume avec son phare déclinant, suivi de Pierre-Alain qui a pour seul lumière sa lampe frontale, Frédéric enfin qui éclaire tout ce qu’il peut par l’arrière !

Nous croisons pas mal de monde sur la route, revenant sans doute d’une fête. La situation est parfois acrobatique ! À l’arrière de la première moto j’essaie de faire des signes pour annoncer les difficultés de la route. Nous poursuivons jusqu’au port pour rendre la moto à son propriétaire et rentrons vers 10h 30 après être passés dans une sombre ruelle où nous avons bu une vraie bière Guinéenne : la Guiluxe ! En pays à majorité musulmane, on ne trouve pas souvent d’alcool, sauf la nuit à l’écart ! On y a aussi vu, dans le noir, des jeunes qui nous proposaient de fumer des choses … ni catholiques, ni musulmanes ! Mais ne le crions pas sur les toits !

Samedi 14 janvier

Et le coq chanta.  Marc 14/68 

« Si nous partons trop tard, nous rentrerons à la nuit » avait dit le vieux, et il avait raison ! Trois sur une moto, deux sur l’autre, nous gagnons « la banquette » pour embarquer vers l’île voisine. L’équilibre est instable et je ne suis toujours pas sur, à cette heure-là, de finir la journée sans tomber à l’eau.

Comme d’habitude, l’accueil sur l’île est sans condition. Nous saluons tous ceux qui peuvent l’être et traversons ainsi un premier village. Chaque : héee Guillaum’ nous amène à nous arrêter, saluer ; « ça va ? ça va … nous connaissons la suite.

Le village de Pourou est fait d’une suite de concessions de part et d’autre d’une rue centrale. C’est propre, et silencieux. Pas de motos, pas de voitures bien sur. Que le bruit des paroles, des enfants, du travail, des animaux sauvages, des volailles : pintades, poules et coqs. Les femmes travaillent, préparent, ne restent jamais inactives tandis que les hommes testent les hamacs ou jouent au foot. Certains équipent même un lieu pour la retransmission des matches de la Coupe d’Afrique des Nations. Mais soyons justes : l’entretien des filets, des barques occupe aussi les hommes qui vivent durement, et la culture dans les rizières n’est pas, non plus, chose facile.

Notre jeune guide, Jimmy, nous fait saluer son père, sa sœur, ses sœurs ….

Arrive le premier pont que mes compagnons se délectaient par avance de me voir franchir. Je ne leur donnerai pas ce bonheur de me voir tomber dans la vase et je regrette sincèrement qu’aucun d’eux n’ait chu ! C’est pas Indiana Jones, mais presque. Nous marchons ainsi dans la mangrove

La mangrove est un écosystème de marais maritime incluant un groupement de végétaux principalement ligneux spécifique, ne se développant que dans la zone de balancement des marées appelée estran des côtes basses des régions tropicales. On trouve aussi des marais à mangroves à l’embouchure de certains fleuves.Ces milieux particuliers procurent des ressources importantes (forestières et halieutiques) pour les populations vivant sur ces côtes. Les mangroves sont parmi les écosystèmes les plus productifs en biomasse de notre planète. Les espèces ligneuses les plus notables sont les palétuviers avec leurs pneumatophores et leurs racines-échasses.La dégradation rapide de certaines mangroves, dans le monde entier, est devenue préoccupante parce qu’elles constituent des stabilisateurs efficaces pour certaines zones côtières fragiles qui sont maintenant menacées, et parce qu’elles contribuent à la résilience écologique des écosystèmes après les cyclones et tsunamis et face aux effets du dérèglement climatique, incluant la montée des océans.

Nous franchissons un deuxième puis un troisième pont faits uniquement de troncs d’arbres sur lesquels il faut marcher en se gardant de glisser Seules quelques faibles branches plantées dans la vase aident à garder un semblant d’équilibre. Passées plusieurs rizières que nous contournons par les talus, nous voilà à Boumala (Boulame sur la carte). On nous fait assoir, salutations … puis nous sommes tout à coup témoins d’une course poursuite après un coq qui ne s’est pas laissé faire mais qui a perdu. Il sera donné à Guillaume qui le mettra en pension chez le chef de Bongolon. Nous allons faire un tour jusqu’au bord du fleuve où un magnifique fromager étend son ombrage. Je ne sais pas si c’est en m’asseyant sur une racine que je provoque un certain émoi, mais il est sur que l’on se met à parler de cet arbre maléfique. Pour ma part, tout va bien.

Je ne suis même pas tombé au retour mais j’étais un peu inquiet de la nuit qui tombait, elle, pour de bon. Jimmy nous ramène en pirogue mais me parait moins décontracté qu’au voyage aller. Le coq conduit à sa pension, nous rentrons à la maison pour une soirée tranquille où j’ai même osé boire du Vimto et du Top Cola ! Tout va bien !

Vimto est une boisson gazeuse provenant de la Grande-Bretagne. Elle est surtout vendue dans les pays du Commonwealth. Elle est principalement composée de raisins, de framboises et de cassis. Son goût est semblable à celui de la limonade Fanta Wild Berries de Coca-cola.Vimto fut produit pour la première fois en 1908 par l’importateur d’herbes originaire de Manchester John Noel Nichols, à la suite du mouvement de tempérance de la fin du XIXe jusqu’au début du XXe siècle et du Licencing Act de 1908 qui réduisait considérablement les conditions pour l’agrément des boissons non alcoolisées en Angleterre et au pays de Galles. À l’origine, la boisson était vendue sous le nom de Vimtonic. À partir de 1912, Nichols changea ce nom en Vimto. Vimto est actuellement produite par Vimto Soft Drinks Ltd une filiale de Nichols plc.

La boisson, qui fait l’objet d’un vrai culte chez ses consommateurs, a fêté ses 100 ans en 2008. Si j’avais su !

Dimanche 15 janvier

« Reposez-vous un peu » Marc 6/31

Nuit, petit déjeuner, bréviaire, lecture, roupillon, lecture, messe, repas, sieste roupillon … vers 17 heures nous allons derrière la maison parcourir les rizières où il reste encore l’une ou l’autre famille en train de trier le riz. La récolte est bien finie, mais pas le travail. C’est à chaque rencontre l’occasion de salutations. L’une d’entre elles nous donne même du riz et je crois que nous avons réussi à le refuser sans les vexer, disant que le fruit du travail de la famille devait profiter aux enfants. Le soir, lessive, avec la planche prêtée par la voisine. « C’est de connaitre » comme on dit dans le Médoc, mais vive la machine à laver !

Lundi 16 janvier

« Reste avec nous car déjà le jour baisse » luc24/29

Il a d’abord fallu que sèche le linge, puis que l’on demande la route au chef. Ce coup-ci, celui que nous appelons Abraracourcix n’est pas dans son bain comme l’autre jour et il a déjà demandé à quelqu’un de nous conduire jusqu’à Boffa où il doit de toute façon aller pour réparer la voiture dont la roue arrière gauche ne va pas tout à fait dans le même sens que les autres. Mais si la voiture est là, le chauffeur a disparu. Nous en profitons pour saluer à droite, à gauche « Tana muri ! – tana yo muri »  etc. … ça va, ça va bien ? … bref, si l’on peut dire, nous demandons la route selon l’expression rituelle en Afrique occidentale.

A Boffa, déjà abondamment empoussiérés, le chauffeur nous arrête à la gare routière que nous avons déjà fréquentée. Aurons-nous besoin de l’aide du Général ? Pour le moment nous mangeons une omelette, du poisson et de la banane frite, avec de l’eau potable. Très bien. Le tenancier du Maqui nous donne même de l’eau pour que nous nous lavions un peu, c’est dire

En Afrique, les maquis sont, avant tout, des lieux de restauration très populaires. Ce sont aussi des lieux de rencontres, d’échanges et de défoulements. Au départ il s’agissait, il s’agit toujours, de lieux relativement discrets, non déclarés, ne possédant pas de façade sur rue et n’ayant rien qui permette d’identifier leur fonction. Il s’agissait d’espaces aménagés à l’intérieur des domiciles privés où les « clients » pouvaient se restaurer, boire un verre en regardant la télévision et/ou en écoutant de la musique. Véritables restaurants « africanisés », les maquis proposaient et proposent encore des plats et des boissons à des prix très abordables. L’aspect discret, voire caché ou connu via le bouche à oreille, fait similitude avec le maquis végétal et les maquisards. Les maquis clandos (clandestins) d’Afrique permettaient et permettent encore de consommer les viandes dites de brousse -comprendre de chasse- parfois interdite de chasse et de commercialisation. (conventions internationales, raisons de raréfaction des espèces, aspects sanitaires internationaux ou rareté de l’espèce animale, même non interdite, et difficulté de préparer le met en sus d’un nombre faible d’amateurs).

L’état dans lequel nous sommes déjà ! Un taxi, nous sommes six à bord, nous conduit à Tormélin. Sitôt arrivés, Guillaume a entamé une négociation pour que quatre motos nous conduisent au lac féérique dont il ne cesse de nous parler, nous promettant un paradis où nous verrons quantité d’oiseaux demain au lever du soleil. Surgit alors un caporal chef –en fait le président de la jeunesse de Tormelin- qui nous demande sur un ton agressif si nous avons un ordre de mission, si nous avons demandé l’autorisation aux autorités, si les blancs laissent les étrangers aller et venir n’importe où en France, si …

C’est mal parti. Guillaume prend son regard des mauvais jours et, après quelques explications, nous embarquons notre hôte dans le taxi qui nous avait amenés jusque là et qui n’en demandait pas tant. Direction : le Sous-préfet, mais il n’est pas là. Sa femme nous envoie chez celui qui pourrait être le chef coutumier et que le caporal appelle excellence. Cette succession de chefs consultés (et qui on l’air de s’en taper) nous revenons à la gare. Notre chauffeur qui n’en peut plus, nous quittera là. La négociation reprend sous un abri où je rejoins Guillaume, pour avoir une voiture ou quatre motos. On nous annonce des durées de trajets fantaisistes et qui changent, des prix que nous tentons de faire baisser. Ça dure … nous finissons par opter pour une voiture mais voilà qu’il faut payer l’essence, 130 000 francs. Ceci fait, quelqu’un va la chercher litre par litre pendant que d’autres vont chercher une batterie. L’heure tourne, nous commençons à sentir que nous n’arriverons pas avant la nuit, d’autant plus que nous ne sommes pas sûrs de la durée du trajet. Le temps passe et déjà le jour baisse et nous ne voulons pas dire « reste avec nous » à notre caporal.

Nous nous consultons discrètement et devant la perspective d’avoir le caporal avec nous et donc de payer un supplément à chaque occasion nous annonçons notre changement d’objectif : « Il est trop tard, nous voulons aller à Fria » S’il le pouvait, le caporal deviendrait gris ! Bien sûr, impossible de se faire rembourser. Tant pis pour les 130 000 francs, nous partons à Fria, non sans avoir empêché le caporal de monter. Le chauffeur fait se toucher les fils et, par chance, la voiture démarre.

Guillaume est assez énervé mais la route se fait bien. Nous ne sommes que 5 dans le taxi, chauffeur compris, chauffeur d’ailleurs sympa. En route, Guillaume appelle un agent administratif de développement, M. Bari, qui nous accueille à Fria pour nous conduire dans un hôtel sympa, propre et pas cher, 360 000 francs pour 4 personnes en 3 chambres.

Le soir, aidés par un passant, nous trouvons un petit restaurant propre où nous mangeons local et correct. La cuisine est bonne en Afrique occidentale. Certes, le riz revient souvent mais les sauces poulet, arachide, poisson, feuilles de manioc … sont excellentes. Le problème est d’essayer de trouver des aliments et boissons bactériologiquement propres … mais nous y sommes parvenus, du moins jusqu’à plus ample informé !

Sur le retour, en cherchant bien derrière la gare routière (conseil d’amis) nous trouvons ce qu’il faut pour avancer sympathiquement dans la soirée où nous jouerons aux cartes dans la cour de l’hôtel.

In fine, j’invite la petite fraternité à chanter les complies. « Reste avec nous Seigneur car déjà il fait nuit. »

Mardi 17 janvier 2012

Jésus lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé »  Jean 9/4

Réveil à 17 30 ! Il n’y a pas de temps à perdre car nous allons à la cascade de Bogoro. M. Bari qui va dans le coin livrer quelques moustiquaires doit passer nous prendre à 9 heures. Alors fissa-fissa nous revenons au centre ville tout proche pour faire quelques courses. La banane est vraiment géniale et la sardine à l’huile très constante sous ces latitudes, quant au pain on en trouve du frais chaque matin, toujours le même, contrairement à chez nous où il faut aujourd’hui acheter un dictionnaire avant d’entrer chez un boulanger.

à 10h 30 M. Bari arrive avec le chauffeur et le médecin ! Pas grave, nous sommes en vacances et ça nous laisse du temps pour deviser, regarder, rêver, commenter, prier, lire … Mais si M. Bari nous conduit jusqu’à Baguinet il nous faut réserver quatre place dans un taxi qui passera par là pour nous conduire ensuite à Télimélé où nous sommes attendus par un couple de coopérants. La négociation est longue. Nous sommes au cœur d’une rue marchande, très défoncée,  parcourue par  motos et quelques voitures. Beaucoup de monde dont des femmes souvent bien habillées tandis que les hommes sont … comme nous ! Je me demande comment elles font pour rester propre dans un environnement si poussiéreux.

Les voitures, les camionnettes sont dans un état de délabrement avancé. Ce sont quasiment les mêmes qu’en Cote d’Ivoire il y a 37 ans. Peugeot 504 (fin de prod : 96 en Europe) et 505 (fin de prod : 1992), Renault 19 (fin 1999) … Il ne reste plus un coin de tôle qui soit d’origine. Le rétroviseur est un équipement superflu, contrairement au klaxon autour duquel la voiture semble avoir été construite.

Nous finissons par conclure : le taxi partira quand il sera plein moins 4 personnes et il nous prendra à Baguinet vers 15 heures. Nous pouvons alors partir dans une confortable voiture de l’administration, tous les 4 sur la banquette arrière (ces déplacements nous ont beaucoup rapprochés !).

20 mètres et déjà on nous arrête. C’est le chauffeur d’hier qui nous cherche des noises : « je n’ai pas été payé ! » Nous protestons de notre bonne foi, ayant réglé son patron, et Guillaume fait à M. Bari un rapide récit de l’histoire. Les menaces du chauffeur qui prétend avoir prévenu la police ne nous font pas peur car nous avons la confiance de M. Bari, qui connait d’ailleurs le caporal. Nous partons enfin après des allers-retours entre la station d’essence, la ville et un centre de soins. 

L’heure est donc déjà bien avancée quand nous sommes au centre de santé de Baguinet. Sur les conseils de notre guide nous achetons quelques noix de coca pour les donner au chef du village de Bogoro. En son absence, c’est son fils qui nous conduira, par un petit chemin, jusqu’à un lac naturel alimenté par des chutes d’eau hautes d’une quinzaine de mètres.

Bonjour l’intimité : 20 personnes nous regardent et je me demande bien ce qu’elles pensent de nous. Il faut déployer un peu d’imagination pour aller s’équiper d’un maillot. C’est quand je tombe à l’eau, déjà prêt pour le bain, que le rire de Pierre-Alain libère le leur. Ce n’est pas bien de se moquer !

L’air est doux. Le soleil est chaud à la surface de l’eau. Sous la chute, la violence de l’eau me fait boire la tasse et j’ai l’impression qu’Aloys aimerait presque que je coule pour avoir l’occasion de me sauver. Au piedmont du Fouta-Djalon ce moment, suivi du pique-nique, nous met au cœur de la réserve d’eau qu’est la Guinée pour l’Afrique occidentale.

Au centre de soin, l’attente est longue sous la chaleur. Personne ne bouge. Nous visitons tranquillement le centre qui intéresse tout particulièrement Aloys notre infirmier. Ce petit dispensaire dessert une population de 16 000 habitants. Sous l’happatam M. Bari fait la sieste. De temps en temps, « on » s’inquiète du taxi : Bari et Guillaume vont chercher du réseau au loin mais nous n’avons pas de nouvelles. Rien n’est sur. Il suffit d’attendre …

Quelqu’un fait sa prière sur un terrain délimité par des pierres volcaniques. Nous irons ensuite au même endroit pour chanter les vêpres. Le même reviendra dans un moment pour la prière suivante, précédée des ablutions rituelles, avec tout le petit groupe présent au centre à cette heure-là. Aloys nous met des gouttes dans les yeux, nous parlons les uns avec les autres, nous trouvons que c’est parfois bien de n’avoir rien à faire.

17h 15, le taxi arrive … et cale. Un taxi Guinéen n’est pas un taxi parisien, est-ce utile de le préciser. C’est une voiture qui a entre 20 et 30 ans, souvent une Peugeot, et qui ne part pour  sa destination que lorsqu’elle est pleine, la notion de plein pouvant varier suivant l’état de la route, la qualité du chauffeur, l’âge de la voiture et peut-être celui du capitaine. Aujourd’hui ce sera 14 personnes ; 4 derrière (dont un enfant), 4 au milieu (c’est nous) 3 devant. Je sais compter : avec 3 sur le toit, ça fait bien 14 !

Ça crie derrière, les 3 femmes rouspètent. Ce ne doit pas être les meilleures places ; ne sommes nous pas l’objet du mécontentement ? Je ne sais. Sur les cotés de la 505, derrière les portes latérales, il y a une poignée, genre poignée de tiroir. Je me demande un instant à quoi cela peut bien servir. Moi qui ai connu l’automobile dans des temps plus anciens que mes compagnons, avec des personnes qui n’avaient peur de rien tel l’abbé D’Havé curé de Vertheuil, je devrais me rappeler qu’une voiture, il faut la pousser pour démarrer ! Je revois des scènes vécues ou rapportées mais soyons justes : rien n’égale, dans mon expérience de la voiture et du voyage, en Afrique ou ailleurs, le taxi guinéen !

On nous fait entrer sur la banquette centrale, en poussant pour fermer la portière. Les plus jeunes se plient aimablement aux besoins des plus âgés, malgré quelques allusions oiseuses sur ma carrure de beau gosse ! Qu’ils soient remerciés !

Il a beau faire se toucher les fils, la 505 refuse de démarrer. Il faut pousser, dans le sens de la pente, c’est-à-dire en marche arrière ! Il conduit comme moi ! Ça en terroriserait certains, moi pas. Toujours à la limite, loin du volant. Je vois dans le rétroviseur intérieur son visage impassible en toute circonstance. On ne peut savoir à quelle vitesse on roule mais ça va vite sur ces pentes de latérite et de sable, ravinées par les pluies, le passage des voitures, des camions, des motos. J’ai l’impression qu’il est toujours au maximum de ce que la voiture peut donner compte tenu du terrain, de la charge, de la pente, quelquefois un poil plus quand il s’agit de prévoir l’attaque d’une côte.

Le soleil commence à descendre sur la vallée irriguée par la rivière Ponan. Tout est beau. Nous sommes les seuls, dans ce qui pourrait être notre corbillard, à parler, à regarder, à commenter et bien sur à photographier ou même filmer, les autres passagers restent silencieux.

Je profite de cette route en me disant parfois que c’est peut être la dernière, mais sans peur. Au bout d’une heure et demie nous atteignons un plateau sur lequel le chauffeur nous octroie une pause. Il va faire sa prière. La nuit est tombée, le ciel s’étoile, je me sens bien.

Nous repartons, croisant et doublant quelquefois un véhicule en difficulté dont un camion. Malgré un bruit inquiétant du côté de la roue arrière droit, rien ne ralentit le chauffeur si ce n’est quelque gué ou quelque virage où ça dérape un peu mais le bougre a l’air de bien connaître la route. Au poste de police, quelques-uns se font taxer quelques billets, sous prétexte qu’ils n’ont pas leurs papiers, et c’est vers 22h 30 que nous arrivons à la gare routière de Telimélé d’où nous appelons notre hôte Philippe afin qu’il vienne nous chercher.

Journée curieuse qui pourrait paraitre inutile. Mais tout ce temps se passe au cœur d’une nature sauvage et belle et nous permet de nous rencontrer, de parler, de vivre une expérience commune, y compris des sensations que d’autres cherchent à DysneyLand. En même temps nous apprenons beaucoup les uns sur les autres, et sur nous-mêmes.

Ce soir, nous ne mangerons pas. Philippe, dans sa maison endormie, nous a bien proposé de l’eau et quelques bananes, mais il a oublié les bananes. Ce fut l’occasion, réunis dans notre chambre commune, d’attraper un fou rire en mangeant de la pate d’arachide. Sans doute aussi vivons-nous là un phénomène de décompression après cette journée curieuse qui se termine par une douche. Si Aloys nous avait obligés à nous rincer l’œil pendant l’attente devant le centre de soin, la couche de poussière méritait sinon la piscine, du moins la douche !

Mercredi 18 janvier

« Venez déjeuner » Jean 21

7h 55  « On déjeune dans 5 minutes ! »

Nous sommes chez des helvètes et il ne s’agit pas d’avoir un coucou de retard ! Philippe, Sandra, et leurs deux enfants Erin 4 ans et Amaël 2 ans nous attendent autour de la table pour faire la prière. « Un ami à droite, un ami à gauche, à tous bon appétit. Merci Seigneur pour ce repas, à tous bon appétit ! » Nous sommes chez des évangéliques pour commencer cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Ça ne rigole pas ! J’exagère. Cette famille est sympathique et le petit déjeuner bien fourni. Ils sont en Guinée depuis quelques mois, à Télimélé où ils apprennent le peul depuis quelques semaines. Les enfants alternent d’ailleurs Peul, Allemand et Français, créant ainsi un sabir tout à fait étonnant. Ils en sont encore au stade de la recherche avec deux autres couples qui habitent comme eux des immenses maisons qui appartiennent  à des Guinéens fortunés. Leur association « Action Vivre », financée par des églises Suisses, ont déjà dans le pays une école et un hôpital spécialisé dans le traitement du SIDA et de la tuberculose. Ils voudraient s’attacher à de la formation en vue du développement agricole ou de l’artisanat. Il y a du boulot !

Après quelques hésitations (lac ou montagne) nous montons jusqu’au plateau qui domine la ville. Philippe, qui n’en n’avait je crois pas très envie, nous guide, son petit sur le dos, au rythme de marche de son aîné. Ça me va ! Nous franchissons la falaise jusqu’au plateau où un homme est venu ramasser du bois. Tout est calme. Pas de bruit artificiel, ni d’avion, ni de voiture, ni même de radio … Chaque événement nous renvoie à l’évangile ; les brebis comme l’autre jour, la pêche, ou encore la soif ce qui amuse Guillaume et Aloys.

Avant le repas je suis avec Aloys pour aller au marché, conduits pas Philippe, histoire de voir un peu le pays et de procurer ce qui sera utile au repas de midi. Philippe est déjà bien connu, mais il restera le blanc avec grosse voiture et grosse maison !

Sitôt le repas, nous entreprenons de poursuivre notre périple jusqu’à Kindia, envisageant de dormir au monastère de la fondation de Maumont. Sœur X nous attend car Guillaume balise excellemment les étapes même s’il a quelques difficultés inhérentes au genre avec les heures de départ et d’arrivée. Vers 14 heures nous sommes à la gare du bas, celle du haut étant déserte. Ici, une 504. Le vieux qui nous fait les billets veut aussi nous faire payer pour les bagages. Nous refusons toute discussion, et nous avons bien fait. La conversation avec un autre homme venu conduire son épouse qui voyagera avec nous nous intègre un peu aux autres passagers. Mais le vieux, est-ce pour nous embêter, fait un changement de voiture et nous montons dans une 505. Si nous voyons parfois sur la route quelques beaux taxis malgré leurs 20 ans de service comme l’affichent fièrement certains, nous sommes toujours tombés sur des voitures particulièrement délabrées. Pas ou peu de rétroviseur, pas de compteur de vitesse, une carrosserie infernale cabossée plusieurs fois par cm², et puis cette manie de souvent, trop souvent démarrer en poussant la voiture en marche arrière.

Nous prenons la célèbre tactique du 3-4-3-2, comme au foot. 3 devant, 3 derrière, 4 au milieu (encore nous) et 2 sur le toit avec quelques bagages. Avant le départ, tout le monde s’engueule : le vieux chef de gare, escroc patenté, les femmes à l’arrière, un nouveau qui arrive et qui a un rendez-vous urgent. Le pilote à l’air moins à l’aise que celui d’hier. Il conduit plus près du volant, plus tendu. Depuis que la voiture roule en marche avant, nous sommes encore les seuls à parler. Placé contre la portière droite, où j’ai toujours peur qu’elle s’ouvre et m’éjecte, je suis sous le soleil du Sud puis de l’ouest et je n’entends pas ce que disent mes compagnons. Devant moi, un des passagers écoute du Francis Cabrel sur son Smartphone. Derrière, la femme de l’homme avec qui nous avons échangé quelques mots parle au téléphone. Que de contrastes !

Les villages se succèdent. A la sortie de l’un d’eux, au bas de la pente, un homme a déposé ses vêtements sur sa moto et se lave, tandis que sa radio crie à tue-tête. La voiture passe le gué et dans la remontée, s’arrête. Nous nous garons un peu pour ausculter le moteur. C’est la bobine. Dieu soit loué, il y en a une de rechange dans le coffre ! Mais ça ne marche toujours pas. De temps en temps on nous réquisitionne pour pousser la voiture, en marche arrière, afin d’essayer de la faire démarrer. Un homme qui portait avec lui un grand étui, sort une flute et se met à jouer. Concerto pour flute et démarreur en si bémol mineur !

« On a peut-être le temps de chanter les vêpres. » Nous nous y mettons tous les quatre en commençant, alors que le soleil disparait derrière la montagne, par l’hymne de Saint Benoît : « traduire en patience le désir du Royaume »

Le temps de dire les vêpres ? On aurait pu continuer par les complies et entamer largement les matines !

La nuit est noire et il y a de moins en moins de circulation. Dormirons-nous là ? Guillaume s’impatiente et cherche du réseau mais quelqu’un a du faire signe au village le plus proche et une R19 vient nous prendre. Nous embarquons à 6 dedans plus 2 ou 3 sur le toit. Et c’est reparti ! Mais les côtes sont raides à tel point qu’il y a un embouteillage. Il nous faut descendre même si je comprends qu’ils avaient envisagé de nous laisser dans la voiture. Nous avons tenu à connaître le même sort que les autres et nous avons marché. J’en profite pour me foutre en l’air dans le fossé heureusement sec, puis par trébucher dans une ravine de la route. Deux camions impressionnants nous croisent. Ça crie, ça klaxonne, les moteurs hurlent, les phares et les clignotants s’affolent. Nous retournons dans la voiture qui cale de plus en plus souvent. Le chauffeur ne comprend pas que cela nous fasse rire. Guillaume lui répondra astucieusement que c’est pour oublier la faim (ou la fin ?)

Auparavant, Guillaume avait téléphoné à une  coopérante qui travaille à Kindia, pour qu’elle appelle un taxi au cas où nous resterions  en rade. Il a ensuite fallu s’arrêter à un endroit où il y avait du réseau, quitte à ne pas redémarrer, pour envoyer un contrordre et maintenant ? Maintenait, que faisons-nous ?

Il est tard. Irons-nous jusqu’à Friguiagbé et delà au monastère Ste Croix ? La sœur hôtelière a prévenu le gardien qui nous ouvrira, nous logera et nous nourrira. Vive Saint Benoît et l’accueil bénédictin !

Kindia. Il faut négocier une voiture pour Friguiagbé. Partis à 100 000 francs nous l’aurons à 50 000, mais les sœurs nous dirons qu’on s’est fait avoir. Dieu, que la route est longue dans cette grande banlieue où l’on a toujours l’impression que l’on va réussir à écraser quelqu’un. Le chauffeur n’a pas l’air très heureux. Il nous plante au centre du village où 3 motos veulent nous prendre en charge. Arrêtés quelques kilomètres avant par la gendarmerie qui nous avait demandé  nos carnets de santé et nos papiers, je me demande où j’ai remis mon passeport, où sont mes chaussures, mon sac. Je panique un peu et tout va très vite alors qu’une quatrième moto se pointe. « On y va » et c’est parti. Je profite de la poussière de ceux qui me précèdent et je serre les fesses. Tiré en arrière par mon sac à dos je regarde le ciel étoilé et je récite le Je vous salue Marie à toute allure comme pour dire le plus souvent possible « Priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant, l’heure de notre mort » Ce ne sera pas pour ce soir. Le gardien nous accueille comme on accueille le Seigneur. Le ciel luit de mille et une étoiles. Benoît chante :  voir l’univers à sa mesure véritable, l’univers comme un point lumineux,  léger grain de sable que l’amour transfigure. » Tout est paix. On peut aller dîner.

Jeudi 19 janvier

C’est à l’amour que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples » Jean 13,2  

Nuit bénédictine, lever tôt, encore que tout soit relatif. Mais l’aumônier nous retient d’aller aux laudes pour nous faire déjeuner. Nous dirons laudes seuls avant d’aller concélébrer la messe à 8 heures. Suit un moment d’hésitation qui fait le charme des voyages à plusieurs quand on essaie de respecter les envies des uns et des autres et qu’on veut en même temps  répondre à telle invitation ou assouvir telle curiosité. Les sœurs veulent nous rencontrer (comme je les comprends), mais seulement ce soir avant les complies. L’hôtelière, la prieure, la responsable des poules viennent parlementer avec nous. C’est joyeux, frais, libre. Avec nos compagnons nous décidons de passer la journée à Kindia et de dîner ici ce soir pour être disponibles ensuite à la rencontre avec les sœurs.

Un peu de marche à pied vers le lac de retenue qui est proche nous fait le plus grand bien à cette heure du jour. Nous aurions presqu’envie de nous baigner, mais deux alligators ont quitté leur captivité et il vaut mieux éviter de leur donner à manger. Puis nous rejoignons Friguiagbé sur deux motos (3 par moto) et Kindia en taxi voiture pour une fois en bonne état, c’est une allemande. La ville grouille et le marché est assez beau. On sent un centre important, équipé d’électricité vu la proximité du lac de ce matin. Pour attendre le repas, après avoir fait quelques emplettes nous dégottons un magasin où l’on peut acheter et consommer de la bière. Nous en profitons pour prévoir ce qu’il nous faudra pour notre dernière soirée ensemble. C’est avec Jeanne à qui Guillaume téléphonait hier que nous déjeunons au « restaurant Sénégalais » après avoir tenté de fuir le bruit d’un groupe électrogène.

De retour au monastère nous avons le temps de visiter l’élevage de poules pondeuses. Elles sont deux fois 3000 (je  parle des poules) et les religieuses emploient du personnel local que sœur Pierre  mène avec ardeur. Elle a d’ailleurs été conduite à renouveler complètement son équipe, la précédente aillant pris de mauvaises habitudes. 5800 œufs par jours sont commercialisés autour du monastère et revendus sur les marchés proches. Le temps passe vite et nous avons la grâce de participer à la prière de la petite communauté bénédictine que nous retrouvons le soir après le dîner pris en compagnie de l’aumônier et de la sœur d’une des religieuses françaises

Tout le monde est là, c’est-à-dire 8 ou 9 religieuses. Pierre-Alain a entendu parler de sœur Dorothée car il connaît sa maman paroissienne du Grand-Parc. Il y a seulement deux religieuses africaines. Sœur Raphaëla, prieure, vient de Maumont ainsi que sœur Vincent qui est hôtelière et sait bien accueillir. On sent une communauté très active, vaillante, pour faire vivre ce monastère fondé à la demande de Mgr Sarah, alors évêque de Conakry, que je verrai en mars lors de la retraite des prêtres de la province. J’avais peur que la rencontre soit très sérieuse mais nous avons en fait beaucoup ri. Les sœurs veulent savoir quels sont nos liens, qui nous sommes, ce qui nous est arrivé hier pour que nous parvenions si tard au monastère. Nous parlons et interrogeons aussi ces femmes qui sont une page d’évangile.

Et la soirée se poursuit, paisible, par une conversation teintée de ce que nous avons vu, de ce que nous voyons précisément en ces lieux de vie religieuse. Oui, l’amour se fait reconnaître.

Vendredi 20 janvier 2012

Si je m’étais écouté, je serais parti à 8 heures du matin. Pierre-Alain proposait 18 heures. Plus lucide, Guillaume nous conseille de partir après le déjeuner. D’ailleurs à 8h j’ai la joie de présider la célébration eucharistique où Pierre-Alain prêchera. J’introduis en remerciant les sœurs que nous avons rencontrées un peu par hasard, avouons-le. Avant de partir, je ne savais pas qu’elles existaient ! Je les remercie de donner à notre voyage un petit goût de pèlerinage. De fait, comme après un pèlerinage, nous allons rentrer changés, transformés par ce que nous avons vécu, et tout particulièrement par notre rencontre au monastère Sainte Croix de Friguiagbé. J’évoque aussi, en ce jour où l’Église fait mémoire de St Sébastien, Saint patron des vicaires généraux comme dit notre évêque, j’évoque l’apparition d’André, l’autre soir sur la plage, chrétien seul dans son village. Je pense aux chrétiens de chez nous, tout particulièrement les jeunes, qui peuvent aussi se sentir bien seul dans leur village, leur lycée, … quelquefois leur famille.

Et nous prenons le temps de visiter le monastère de Segueya, fondation de Keur Moussa. Une communauté de moines sénégalais est installée ici depuis 10 ans, dans des locaux provisoires ; Frère Cyril nous reçoit et arrête tout pour nous faire visiter cette exploitation de 100 hectares où il fait pousser des bananiers, du riz, des ananas, des papayes, du tek, des palmiers à huile, élève des cochons, des bœufs de trait, des moutons, un âne, des poulets et autres volailles. Et ça marche, y compris des expérimentations diverses et variées que Guillaume regarde avec grand intérêt pensant bien, déjà, qu’il va amener du monde ici pour leur montrer que, quand on travaille, on a des résultats !             http://www.abbaye-keur-moussa.org

Dernier repas, derniers achats au monastère Ste Croix. Le chauffeur du camion des sœurs, celui qui n’a pas été braqué, nous conduit au village et nous négocie une voiture qui nous conduira à l’aéroport où nous apprendrons à 17h 30 que l’avion ne décollera pas avant 2h 20. En fait, nous attendrons 10 heures ! Question d’habitude !

« Et il disparut à leurs yeux »  Luc 24/9

Bien sûr, Pierre-Alain la trouve chère ! Mais elle est quand même servie en terrasse, avec une petite serviette en papier ! 

Alors que la nuit tombe, la circulation est à son comble. Les fumées diverses et autres poussières volent autour de nous avant d’arriver sur nous et peut-être même bien en nous. Devant nous l’humanité s’agite tandis que nous attendons l’heure promise pour l’enregistrement des bagages. L’avion, retardé, ne partira qu’à 3h15 au lieu de 23 heures. Bien sûr qu’elle est chère ! 15 000 francs l’une ! Mais elle est fraîche et, appuyés sur la table, face à la route à quatre voies –six en serrant un peu- nous parlons de ces quelques jours, de telle rencontre, de Guillaume, d’Aloys, de ceux-ci, de ceux-là …

La nuit est maintenant tombée. La moiteur de l’air nous fait regretter la fraîcheur des piémonts du Fouta-Djalon. Et cette bière, ni plus ni moins bonne que les autres, a le goût de cette heure finale : un peu amère, très légèrement, comme une séparation ; mais revigorante, fraîche et gouleyante ; comme ces jours de simplicité, de rencontre, de paix, de communion au-delà des mots. Merci C’est vrai qu’elle est chère ! Mais si nous n’avions pas fait les radins en n’emportant avec nous que le strict minimum, nous aurions pu en boire deux ! Il suffit de passer le pont pour rejoindre l’aéroport. Sitôt passé : « Foté, foté ! »* Je crois qu’elles veulent encore me refourguer un taxi. « Foté, foté, foté ! » Plus de foté ! Il a disparu à leurs yeux. Le Christ, quand il a disparu, est monté. Le foté, lui, a foré son trou et il est descendu ! Comme ça, d’un coup, au fond de l’égout à ciel ouvert dont on a dit il y a un instant sur l’autre rive de l’autoroute qu’il valait mieux l’éviter. Au-dessus de moi, ça s’agite. Je vois les yeux, j’entends les voix. Je ne ressens aucun mal si ce n’est une brûlure au bras gauche, sans gravité. « ça va ? ça va, ça va, ça va bien » Des bras se tendent, on me remonte. La stupeur laisse place au rire, un coup de chaleur qui n’était pas indispensable m’envahit.  Après huit jours à braver les dangers réels de la route, à pied, à moto, en voiture, j’aurais pu trouver mieux comme chute pour raconter nos derniers instants en territoire Guinéen !

  • Foté = Le blanc
  • Foré = Le noir

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